Restauration

Oignon Louis XIV


Présentation

La montre qui m’a été confiée est une montre dite « oignon » (à cause de sa forme sphéroïdale) signée André Rousseau à Paris. André Rousseau est le fils d’un horloger de Pithiviers, qui s’est installé à Paris, de même que son frère, horloger également, rue Mazarine.

La montre est typique de celles de la fin du règne de Louis XIV. Elle fait partie de la première génération des montres à deux aiguilles qui a suivi l’invention du spiral réglant (1674) ; la précision due au spiral permettant alors d’avoir des variations de marche de l’ordre de quelques minutes par jour.

Le boîtier est en laiton doré, on voit au centre du revers un trophée de guerre, entouré de deux angelots cariatidiques supportant un décor de rinceaux et d’oiseaux tenant dans leur bec un serpent, sur fond piqueté.

La cadran est à cartouches d’émail, avec un joli décor central rappelant celui du boîtier.

Le coq de ces montres est souvent une pièce d’expression artistique, celui présent (en argent) n’est pas celui d’origine, mais a le mérite d’être d’époque. On y discerne, au milieu des volutes florales, deux têtes de rapace protégeant un oisillon central.

(Cliquez sur les photos pour les agrandir !)

État initial

À son arrivée à l’atelier, la montre était hors d’état de fonctionner pour plusieurs raisons. Le crochet de la chaîne était cassé, du spiral réglant ne restait qu’un petit morceau accroché au piton, le coq n’étant pas d’origine, le pivot de balancier ne l’atteignait pas (en hauteur). A cela s’ajoutait d’autres travaux à prévoir : la restauration du cadran, le repolissage du verre, le remplacement des aiguilles, le bouchonnage des trous de pivots trop usés, le replantage du pivot de fusée, la réfection des vis de balancier qui n’étaient pas du tout d’origine et un nettoyage des dorures et des pièces oxydées ou gommées par de la graisse séchée.

Un premier démontage d’inspection suivi d’un nettoyage s’impose pour planifier les étapes de restauration et travailler sur une pièce propre.

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Le mouvement démonté

 

Comme cela se faisait à l’époque où les ressorts de barillet se faisaient encore artisanalement, le nom du fabricant est gravé sur le ressort :

Signé Penat !
Signé Penat !

 

Le crochet de chaîne

A partir d’un modèle d’époque et d’un morceau d’acier trempé, je pus réparer la chaîne en dérivant l’ancien maillon servant de crochet, en limant le nouveau à la bonne forme et en le rivant à sa place :

Le coq et ses vis

Comme dit, le coq présent n’est pas celui d’origine, il est trop haut pour que le balancier puisse pivoter dedans, son centre ne correspond pas tout à fait à l’axe du balancier (mauvais positionnement sur la platine) et ses vis ne sont ni identiques, ni belles, ni dans l’esprit de l’époque.

Pour résoudre le problème de hauteur, deux solutions se présentèrent : soit relever l’axe de balancier (replanter un axe), soit faire un bouchon qui descende jusqu’au pivot. Le balancier semblant d’origine, je le laissai tel quel et optai pour la seconde solution. Il fallut regarder où devait être percé le coq pour y loger le bouchon. Ce dernier ne tombant pas au centre du mouvement, un nouveau choix dut être fait : ou faire un petit bouchon excentré, ou faire un gros bouchon centré. Après réflexion je décidai de faire les deux : un gros bouchon centré en argent pour qu’il soit discret et un petit bouchon excentré en laiton chassé dans le premier.

N’ayant pas d’argent en tige, il fallut commencer par en fondre :

Ensuite vint, pour le bouchon argent, le tournage, perçage du coq et chassage ; puis, pour le bouchon laiton, tournage (avec un trou borgne servant de « contre-pivot »), polissage, perçage du bouchon argent et chassage.

Le balancier étant constamment en mouvement et ne recevant que peu de force de l’échappement, sa liberté et son bon guidage en rotation est primordial. Un contrôle attentionné est donc nécessaire.

Les vis à changer étant d’époque moderne les trous taraudés ont un pas métrique et normalisé, ce qui facilita grandement le filetage des nouvelles. À partir d’une autre vis du mouvement, je reproduisis deux vis semblables :

Le spiral

Le spiral étant réduit à un petit morceau d’une dizaine de millimètres, il fallut le remplacer. Pour les spiraux de cette époque lointaine, où la théorie n’avait pas encore été posée par le génie de Pierre Le Roy, les proportions hauteur/largeur étaient différentes de ceux d’aujourd’hui (ou même de ceux du XIXè. siècle). La fabrication ex nihilo d’un spiral digne de ce nom étant une entreprise extrêmement ambitieuse et nécessitant des moyens techniques et une matière première que nous n’avons pas à l’atelier, je choisis de modifier la hauteur d’un spiral ayant la bonne largeur. Pour cela je le fis prendre dans de la colle pour le rigidifier, le mis à hauteur puis le déroulait pour le renrouler sur quelques larges spires seulement.

La fusée

Le pivot de fusée ayant souffert, et pas que du temps, le changer s’imposait :

 

Le bouchonnage

A force de tourner, les pivots des mobiles usent les trous dans lesquels ils tournent et les ovalisent. Il faut donc mettre des bouchons pour retrouver un jeu convenable.

L’aspect des bouchons recherché est celui de la finition de la platine. Pour cela un matage rendu brillant par une gomme de polissage est réalisé sur les deux faces. Entre le moment où ce bouchonnage fut fait et l’écriture de cet article, nous nous sommes procurés un bain galvanique d’or jaune, ce qui permettra à l’avenir de faire un plaquage sur les bouchons, les rendant encore plus discrets sur la platine.

 

Les aiguilles

Les aiguilles présentent initialement sur le mouvement n’avaient absolument rien à voir avec la montre. Le client en possédait d’un style cohérent avec la montre, qu’il souhaitait adapter.

Pour cela il fallut surtout fabriquer une demi-sphère logée entre l’aiguille des minutes et la goupille qui limite le jeu en hauteur. Elle fut faite en acier puis noircie pour la fondre à l’aiguille et la protéger de l’oxydation. Ce dernier point est essentiel quand on sait que la mise à l’heure se fait en tournant directement les aiguilles avec les doigts.

 

Le réglage

Une fois la montre à nouveau en état de marche, j’essayais de la faire fonctionner avec une relative précision. Bien que réputées pour être plus décoratives que chronométriques, notamment à cause de leur échappement à roue de rencontre très sensible aux variations de force motrice, elles peuvent être relativement précises, à condition de ne pas les faire trop changer de position.

Le réglage est par contre un peu fastidieux, un relevé quasi horaire de l’avance et du retard sur 24h est nécessaire pour préarmer le ressort de barillet de façon optimale, i.e. pour que la fusée soit calée sur la bonne portion du ressort moteur. Je m’arrêtai lorsque j’obtins une variation de marche de deux minutes par 24h, avec une avance maximale d’un peu plus d’une minute après 7h de marche. En position verticale, elle varie d’une demi-douzaine de minutes par rapport au réglage à plat, ce qui est somme toute raisonnable pour un balancier guidé dans des trous borgnes en laiton.

Remontage

Le remontage final succède aux dernières retouches esthétiques et techniques (reprise de certaines vis, ravivage des dorures, changement de goupilles, réglage des ébats de minuterie, équilibrage de la roue de rencontre, désoxydage du secret, assouplissement de la chaîne…).

Deux artisans m’aidèrent dans cette restauration, M. Laurençot de Paris pour la fabrication d’un nouveau verre sur mesure à la place de l’ancien, très rayé et irrécupérable et Mme Péjoux pour la restauration des cartouches d’émail du cadran. Ce sont des métiers à part entière et indispensables à notre activité de restaurateurs d’horlogerie. Un grand merci à eux.

L’oignon restauré, prêt à entrer dans son quatrième siècle d’existence…

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